Il est des livres qui nous choisissent plutôt que nous les choisissons. Ils errent des mois sur l'étagère, intouchés, et puis soudain, est-ce leur titre ? leur auteur ? leur couverture ? l'adéquation parfaite entre l'épaisseur de leurs pages et la taille de leurs caractères, la discrète rugosité de l'encre, un écho familier ? Soudain c'est le moment de les lire.
Je m'étais procuré L'archipel d'une autre vie en octobre ou en novembre, séduite par le nom de Makine, un premier amour romanesque : j'avais lu Le testament français à 17 ans, et si je serais incapable d'évoquer l'histoire, je me rappelle encore les steppes, la taïga, l'impression d'un ciel rose sur la neige. C'est la semaine dernière qu'il m'a rappelée.
Dans l'Archipel d'une autre vie, on retrouve des thèmes que j'avais déjà abordés ici : le récit enchâssé, la question du sauvage. Le pitch est très simple : un soldat de l'URSS poursuit un fugitif dans la forêt sibérienne. L'idée, archi-classique : tandis qu'il plonge au cœur des forêts, au cœur des ténèbres, pourrait-on dire, le soldat civilisé découvre que le fugitif sauvage est bien plus humain que lui. Éloge de la simplicité, un filet de taïmen grillé sur le feu, une couche de brindilles et un peu d'eau. Récit du vieillard qui se souvient de sa jeunesse passée, quand il ne connaissait pas la vraie vie alors. Le traditionnel jeu de miroirs : le vrai sauvage ce n'est pas lui mais nous.
Ne faisons pas durer plus longtemps le suspens. Ma déception a été proportionnelle à la séduction du livre. Petit démontage en règle en trois points.
1) Un souci de centrage
On a ici, je l'ai dit, un phénomène de récit enchâssé. Un premier narrateur s'amuse à prendre en filature un homme étrange, au cœur de la Sibérie. Celui-ci piège celui-là par des ruses de chasseur aguerri, mais au lieu de se fâcher, décide de lui raconter son histoire.
Nous voilà alors plongé dans un récit de vie dont on ne comprend pas tout de suite le sens. On a d'abord eu la triste histoire des parents du premier narrateur (dont on se fiche un peu vu la suite du récit, mais passons). Puis l'histoire de notre soldat : l'URSS, les amours déçues, la jeunesse pétrie de contradictions, entre passion pour le marxisme et rêves de construire un petit nid confortable et bourgeois. Et puis d'un coup, l'histoire de la traque (vous me suivez ?).
Disons-le tout de suite : l'essentiel du récit, c'est cette traque. Pourquoi a-t-il donc fallu qu'on se coltine toutes ces histoires un peu nounouilles auparavant ? Makine avait-il prévu le plan de son roman avant de commencer à l'écrire ?
Au fond, je ne suis pas opposée aux longs récits de vie, mais ici, on a l'impression d'une histoire mal centrée, faite d'une première partie pas très utile.
2) Au merveilleux pays du poncife et de la bienpensance
Oui, on s'ennuie dans cette première partie mal cadrée, parce que tout est vu et revu et carrément gnangnan : culcul, l'histoire du marxiste reconverti (on se croirait presque dans une propagande anti-URSS maladroite, qui se transforme en propagande anti-capitalisme et tourisme de masse). Culcul, son cœur brisé, culcul, son amitié avec un autre petit soldat bon enfant contre ceux qui courent après les galons (quelle horreur, ces hypocrites, heureusement nous autres faisons notre devoir et vivons d'amour et d'eau fraîche). Quant à l'histoire du premier narrateur, outre qu'elle est un peu absconse dans les premières pages, elle ne semble écrite que pour faire pleurer dans les chaumières, mais sans être exploitée par la suite.
Tout est cliché, archi-cliché, le gentil soldat qui se rebelle, le fugitif talentueux et pas si doué que ça, les méchants soviétiques.
Et puis ce ton moralisateur du vieil homme qui repense à sa jeunesse, mais voyez plutôt par vous-même : "Il m'a fallu de longues années pour comprendre : non, c'est notre vie à nous qui était démente ! Déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l'obscène vérité des guerres.".
3) Les mots pour le dire
Au fond, ma déception vient d'une double attente : la première, le souvenir ému d'une lecture de jeunesse. La seconde, la petite phrase sur mon édition : "Andreï Makine de l'académie française". Un titre comme celui-ci devrait garantir une finesse stylistique appréciable. Mais rien, rien que des phrases plates et sans aspérités, des faux effets de suspens qui donnent l'impression de forcer le trait : chaque chapitre se termine sur un cliffhanger un peu lourd et plutôt agaçant : "Oui, les attaques atomiques auraient poursuivi leurs paisibles simulations si, le lendemain, il n'y avait pas eu cette alerte." BIM, fin de chapitre, tu le sens mon suspens ?
Et c'est peut-être de là que vient cette impression de bonnes morales de calendrier Nature et découvertes : des phrases faciles, des ressorts énormes, une impression de redites sans originalité et de portes ouvertes enfoncées. Ce n'est pas joli, c'est juste ennuyeux.
En guise de conclusion
J'ai fini le livre, néanmoins, est-il donc si mauvais que je le décris ? Une petite scène de beuverie, très courte, n'est pas sans saveur sur les toutes premières pages du livre. Il y a de temps en temps de petites images amusantes, rafraîchissantes. Mais cela ne suffit pas à donner de la profondeur au roman. On notera que Makine s'est payé le luxe d'offrir à ses lecteurs un renversement de situation... pas très convaincant il me semble. C'est quand même déjà ça.
Toujours est-il que si la thématique de l'itinéraire dans la nature qui fait ressurgir la sauvagerie de l'homme est archi développée, elle peut encore être explorée sans pour autant basculer dans le mélo et le moralisateur.
Reste à savoir si ma déception vient du changement de mes goûts littéraires, ou si Makine a commis, pour une fois, un navet. Il faudra que je relise le Testament français pour m'en assurer.
Pour dire les choses simplement :
A lire si : vous avez un trajet en train à tuer, vous aimez bien les descriptions sibériennes, vous avez la flemme de vous creuser les méninges, vous cherchez un feel good book plein de bons sentiments faciles.
Sur un thème similaire, j'ai préféré : Sa majesté des mouches (William Golding), ou La route (Cormac McCarthy).
S'il fallait le noter : 8/20, parce que je déteste qu'on me fasse la morale.
Je m'étais procuré L'archipel d'une autre vie en octobre ou en novembre, séduite par le nom de Makine, un premier amour romanesque : j'avais lu Le testament français à 17 ans, et si je serais incapable d'évoquer l'histoire, je me rappelle encore les steppes, la taïga, l'impression d'un ciel rose sur la neige. C'est la semaine dernière qu'il m'a rappelée.
Dans l'Archipel d'une autre vie, on retrouve des thèmes que j'avais déjà abordés ici : le récit enchâssé, la question du sauvage. Le pitch est très simple : un soldat de l'URSS poursuit un fugitif dans la forêt sibérienne. L'idée, archi-classique : tandis qu'il plonge au cœur des forêts, au cœur des ténèbres, pourrait-on dire, le soldat civilisé découvre que le fugitif sauvage est bien plus humain que lui. Éloge de la simplicité, un filet de taïmen grillé sur le feu, une couche de brindilles et un peu d'eau. Récit du vieillard qui se souvient de sa jeunesse passée, quand il ne connaissait pas la vraie vie alors. Le traditionnel jeu de miroirs : le vrai sauvage ce n'est pas lui mais nous.
Winter trail : snow forest, photo prise par ForestWander le 8 mars 2008, disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Winter-trail-snow-forest_-_West_Virginia_-_ForestWander.jpg |
Ne faisons pas durer plus longtemps le suspens. Ma déception a été proportionnelle à la séduction du livre. Petit démontage en règle en trois points.
1) Un souci de centrage
On a ici, je l'ai dit, un phénomène de récit enchâssé. Un premier narrateur s'amuse à prendre en filature un homme étrange, au cœur de la Sibérie. Celui-ci piège celui-là par des ruses de chasseur aguerri, mais au lieu de se fâcher, décide de lui raconter son histoire.
Nous voilà alors plongé dans un récit de vie dont on ne comprend pas tout de suite le sens. On a d'abord eu la triste histoire des parents du premier narrateur (dont on se fiche un peu vu la suite du récit, mais passons). Puis l'histoire de notre soldat : l'URSS, les amours déçues, la jeunesse pétrie de contradictions, entre passion pour le marxisme et rêves de construire un petit nid confortable et bourgeois. Et puis d'un coup, l'histoire de la traque (vous me suivez ?).
Disons-le tout de suite : l'essentiel du récit, c'est cette traque. Pourquoi a-t-il donc fallu qu'on se coltine toutes ces histoires un peu nounouilles auparavant ? Makine avait-il prévu le plan de son roman avant de commencer à l'écrire ?
Au fond, je ne suis pas opposée aux longs récits de vie, mais ici, on a l'impression d'une histoire mal centrée, faite d'une première partie pas très utile.
2) Au merveilleux pays du poncife et de la bienpensance
Oui, on s'ennuie dans cette première partie mal cadrée, parce que tout est vu et revu et carrément gnangnan : culcul, l'histoire du marxiste reconverti (on se croirait presque dans une propagande anti-URSS maladroite, qui se transforme en propagande anti-capitalisme et tourisme de masse). Culcul, son cœur brisé, culcul, son amitié avec un autre petit soldat bon enfant contre ceux qui courent après les galons (quelle horreur, ces hypocrites, heureusement nous autres faisons notre devoir et vivons d'amour et d'eau fraîche). Quant à l'histoire du premier narrateur, outre qu'elle est un peu absconse dans les premières pages, elle ne semble écrite que pour faire pleurer dans les chaumières, mais sans être exploitée par la suite.
Tout est cliché, archi-cliché, le gentil soldat qui se rebelle, le fugitif talentueux et pas si doué que ça, les méchants soviétiques.
Et puis ce ton moralisateur du vieil homme qui repense à sa jeunesse, mais voyez plutôt par vous-même : "Il m'a fallu de longues années pour comprendre : non, c'est notre vie à nous qui était démente ! Déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l'obscène vérité des guerres.".
3) Les mots pour le dire
Au fond, ma déception vient d'une double attente : la première, le souvenir ému d'une lecture de jeunesse. La seconde, la petite phrase sur mon édition : "Andreï Makine de l'académie française". Un titre comme celui-ci devrait garantir une finesse stylistique appréciable. Mais rien, rien que des phrases plates et sans aspérités, des faux effets de suspens qui donnent l'impression de forcer le trait : chaque chapitre se termine sur un cliffhanger un peu lourd et plutôt agaçant : "Oui, les attaques atomiques auraient poursuivi leurs paisibles simulations si, le lendemain, il n'y avait pas eu cette alerte." BIM, fin de chapitre, tu le sens mon suspens ?
Et c'est peut-être de là que vient cette impression de bonnes morales de calendrier Nature et découvertes : des phrases faciles, des ressorts énormes, une impression de redites sans originalité et de portes ouvertes enfoncées. Ce n'est pas joli, c'est juste ennuyeux.
En guise de conclusion
J'ai fini le livre, néanmoins, est-il donc si mauvais que je le décris ? Une petite scène de beuverie, très courte, n'est pas sans saveur sur les toutes premières pages du livre. Il y a de temps en temps de petites images amusantes, rafraîchissantes. Mais cela ne suffit pas à donner de la profondeur au roman. On notera que Makine s'est payé le luxe d'offrir à ses lecteurs un renversement de situation... pas très convaincant il me semble. C'est quand même déjà ça.
Toujours est-il que si la thématique de l'itinéraire dans la nature qui fait ressurgir la sauvagerie de l'homme est archi développée, elle peut encore être explorée sans pour autant basculer dans le mélo et le moralisateur.
Reste à savoir si ma déception vient du changement de mes goûts littéraires, ou si Makine a commis, pour une fois, un navet. Il faudra que je relise le Testament français pour m'en assurer.
Pour dire les choses simplement :
A lire si : vous avez un trajet en train à tuer, vous aimez bien les descriptions sibériennes, vous avez la flemme de vous creuser les méninges, vous cherchez un feel good book plein de bons sentiments faciles.
Sur un thème similaire, j'ai préféré : Sa majesté des mouches (William Golding), ou La route (Cormac McCarthy).
S'il fallait le noter : 8/20, parce que je déteste qu'on me fasse la morale.
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