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Marie-Antoinette, Stefan Sweig

Tentative de blog littéraire, et on verra ce que ça donne.

Cruel dilemme du littéraire pur souche en vacances qui veut se cultiver historiquement : il recherche une lecture qui le cultive autant qu'elle le divertit. En arrivant au rayon "biographies historiques" de ma librairie, je cherche des yeux un nom familier auquel me raccrocher. Je découvre donc un Stefan Zweig en biographe. Zweig est une valeur sûre concernant le roman, alors pourquoi pas ?

Portrait de la reine Marie-Antoinette, artiste inconnu, probablement Jean-Baptiste André Gotier-Dagoty, 1775

Deux mots de présentation

Marie-Antoinette se présente comme une biographie romancée de l'épouse de Louis XVI, depuis les préparatifs de son mariage jusqu'au nettoyage de sa dernière chambre à la prison de la Conciergerie, après son trépas. Le récit, quelques cinq cent pages, se décompose en quarante-quatre chapitres, chacun centré sur une thématique, et lesdits chapitres sont organisés de façon chronologique : guerres de cour avec la Du Barry, affaire du Collier, temps forts de la Révolution... Ces chapitres, progressivement, proposent une interprétation, quelques hypothèses, sur ce qui a pu conduire Marie-Antoinette à la guillotine, avec un effet de suspens remarquable : on s'attache à la princesse habsbourgeoise, aussi inconséquente soit-elle, et on se prend, jusqu'au bout, à espérer son sauvetage.

Les chausse-trappes de la biographie historique


Le préambule et la note de l'auteur en fin de volume signalent le danger d'une biographie de Marie-Antoinette : entre la Révolution française et la Restauration, les témoignages sur la princesse Habsbourg oscillent entre légende noire et légende dorée. On a présenté Marie-Antoinette en catin, puis en sainte. Et Zweig de préciser, dans sa note liminaire : "La vérité psychologique, comme c'est le cas le plus souvent, se rapproche ici du juste milieu."

Archives partiales, donc, et archives lacunaires, trafiquées, caviardées : les documents les plus intimes sur la reine - correspondances, journaux -, quand ils n'ont tout simplement pas été détruits, ont parfois été tronqués, biffés, afin de ne pas nuire, sans doute, à la mémoire de la famille royale ou de ses proches. Mais les faussaires s'en sont également donné à coeur joie en multipliant les fausses lettres de Marie-Antoinette à ses proches. Zweig, en 1932, choisit la voie médiane : il se méfie de certains documents, vérifie leur authenticité, et pour combler les silences, il brode, de cette "vérité psychologique" qu'il vante sans cesse.

Le lecteur averti devra donc, il me semble, se méfier : parmi des anecdotes bien attestées se dissimulent des spéculations sur la vie de notre héroïne. Car c'en est bien une, d'héroïne, dès lors que Zweig choisit cette "vérité psychologique" ! Zweig, rappelons-le, est avant tout un formidable romancier, et sa Marie-Antoinette se lit comme un roman. On y apprend, on s'y distrait, mais on apprend aussi à être alerte et à éviter les chausse-trappes d'un récit trop précis pour être vrai, en témoignent ces pages haletantes sur les dernières heures de la souveraine en partance pour l'échaffaud : on y voit Marie-Antoinette en simple chemise, écrivant ses dernières volontés à la lueur vacillante d'une chandelle qui, peut-être, nous dit-on, lui survivra, ses cheveux blanchis par les épreuves, ses lèvres pâlies par la maladie... Certes, le tableau est frappant, et pourtant Zweig déclarera lui-même : "sur l'attitude de la reine pendant l'assaut des Tuileries, ou sur ses dernières heures, on possède vingt versions différentes de soi-disant témoins occulaires". C'est dire s'il faut prendre les envolées lyriques de Zweig avec précaution : quand le témoignage fait défaut, il invente.

Le plaisir du roman


Mais pourquoi pas, après tout ? Que les historiens choisissent des sources plus sûres, mais peut-être plus arides, Zweig réussit tout de même à construire un récit captivant : chaque chapitre fait la part belle à une thématique ou à un événement raconté avec un art du récit remarquable. L'affaire du Collier n'a jamais été aussi claire, ni aussi rocambolesque ! Que le lecteur, simplement, ne s'y trompe pas : il lit là un roman historique, une fable, et non un manuel d'histoire.


On s'amusera de ce que la "vérité psychologique" de Zweig a un petit peu vieilli, et on ne s'offusquera pas trop fort de lire au détour d'un chapitre des considérations surranées sur les "qualités des classes inférieures" de la Du Barry : autres temps, autres moeurs, et puis Zweig n'est-il pas l'un des derniers témoins de la société de classes de l'Empire habsbourgeois ? Quelques jugements à l'emporte-pièce, et une certaine tendance au sensationalisme qui renvoient tous les soucis de Louis XVI, sans exception, à son impuissance ou qui annoncent sans cesse le crépuscule des rois pourraient nous faire sourciller, mais n'oublions pas encore une fois le "monde d'hier" de Zweig.

Car ce sont ces envolées psychologisantes et ces annonces prophétiques façon teaser tragico-hollywoodien qui font le sel de Marie-Antoinette : on a beau en connaître la fin, on ne laissera pas d'espérer une issue plus favorable à cette pitoyable monarque. Miraculeusement, le suspens demeure entier.

En bref : 15/20 . A lire si l'on veut se baigner dans l'ambiance Ancien Régime, frissonner à la lecture d'une histoire qu'on connaît déjà, si l'on n'est pas trop tatillon sur l'objectivité historique.

Mon édition : Marie-Antoinette, Stefan Zweig, traduction par Alzir Hella, Le livre de poche, 1999.

Vous avez aimé Marie-Antoinette, vous allez adorer Le monde d'hier, Stefan Zweig, récit de témoin direct de la chute de l'Empire austro-hongrois au début du XXe siècle.

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